« Les Hommes sans Loi », le western de gangsters

Nous sommes en 1931. Alors que la guerre des gangs fait rage dans les grandes métropoles des Etats-Unis, les frères Bondurant tiennent une distillerie dans leur petite ville perdue de Virginie, Franklin. La monotonie de leur commerce prend fin lorsqu’arrive le cruel agent spécial Charlie Rakes, chargé de soigner le mal à la racine, en s’en prenant à ceux qui fabriquent l’alcool. Réputés coriaces, les trois frères seront les seuls à se dresser contre lui, quitte à devoir prendre les armes…

L’une des affiches américaine du film. On ne voit pas ce que le mot « Heroes » fait là.

L’Australie en Amérique

Adapté du livre  The wettest country in the world , biographie de la fratrie par le petit-fils de l’un d’eux, Matt Bondurant,  Des hommes sans lois est un bel ouvrage, qui pose des questions passionnantes, mais pas forcément là où l’on aurait pu l’attendre. Étrangement mélancolique pour un film au casting aussi « in », le film est porté par le scénario et la musique de Nick Cave, qui avait déjà collaboré avec Hillcoat sur l’excellent The Proposition (déjà un western crépusculaire) et Ghosts…of the Civil Dead. Le seul reproche que l’on puisse faire au film de premier abord, c’est le classicisme et la sobriété de sa mise en scène, qui empêchent le film d’atteindre une dimension épique qu’il avait les moyens d’atteindre. Mais, avec un peu de recul, c’est un choix qui s’avère plus que judicieux.

Un casting en or

Tom Hardy, impeccable

Cette sobriété suit pourtant le caractère du personnage principal de l’histoire, Forrest Bondurant, le chef de meute à qui Tom Hardy prête sa silhouette massive pré-Bane. Silencieux, impressionnant de charisme,  portant sur ses larges épaules la responsabilité de ses frères et de leur petite entreprise, l’aîné de la maison est déjà un patriarche qui ne supporte pas que l’on marche sur ses plates-bandes. Ce que personne n’ose faire d’ailleurs, puisque lui plus que ses frères a la réputation d’être immortel.

Shia LaBeouf, petit mais costaud

Aussi volubile que son frère est économe en paroles, le cadet Jack a  la bougeotte. Fasciné par les gangsters en costume trois-pièce et par l’argent, il ne rêve que de grandeur. Shia LaBeouf est l’interprète idéal de ce personnage, écrasé autant qu’il est porté par la légende familiale. Moderne car fasciné par la ville et le bling-bling, il n’en reste pas moins un fils de la campagne, lui qui ne rêve que d’une chose : épouser la fille du pasteur, la virginale Mia Wasikowska.

Autour de ces deux pôles gravitent une galerie de personnages tous interprétés avec maestria (en-même temps, vu le calibre des acteurs, il aurait été étonnant qu’il en fut autrement). Jessica Chastain sublime le rôle d’une serveuse incandescente, oiseau blessée par la vie que Forrest acceptera sous son toit. Gary Oldman a le temps de marquer les esprits dans son rôle (trop court !) de chef de gang lui aussi en train d’écrire sa propre légende. On retiendra beaucoup de Jason Clarke, le troisième frère, colosse généreux de ses tatanes lorsqu’il est ivre, c’est-à-dire tout le temps. Beaucoup plus effacé, son personnage permet toutefois à l’acteur d’imposer une présence à la fois rassurante et imprévisible. Guy Pearce, enfin, a encore une fois la bonne idée de cabotiner à mort dans son rôle de flic poisseux, puant le mauvais parfum et la gomina, et traqueur des Bondurant plus par dégoût de la nature humaine que par devoir.

Photo de famille..Le casting a probablement pesé dans la sélection du film à Cannes

Vous l’aurez compris donc, un casting cinq étoiles, qui à lui seul vaut le déplacement. Mais Des hommes sans loi est bien plus qu’un alignement de stars. Divertissant, il pose également une vraie réflexion sur le temps qui passe et la fin d’une époque.

La bataille d’Hernani en rase campagne

Si Forrest représente la tradition, Jack essaie de tirer ses frères vers la modernité. Conscient que le salut passe par la ville, il essaie de pousser Forrest et Howard à quitter leur campagne et leurs habitudes pour s’engager dans une production industrielle d’alcool, synonyme de montagnes d’argent.

La dualité symbolique entre le passé et l’avenir se retrouve à de multiples occasions à l’écran : d’un côté la campagne, de l’autre la ville ; Forrest est taillé dans un rocher, lui qui assure sa sécurité avec les poings et rien d’autre, tandis que Jack n’est que tchatche et coups de pokers ; la vie tranquille et posée sur son rocking-chair que défend Forrest, contre l’argent, le luxe et la consommation pour Jack, etc…

Les frères Bondurant sur leur monture

Symbole d’un changement d’époque, s’entremêlent dans le film les codes du western (en fin de vie) et du film de gangsters. Ainsi, si à Franklin on vit dans des maisons en bois dans des villages sans route,  les chevaux ont déjà disparus, laissant la place aux premières voitures. Les duels n’existent plus, remplacés par des coups tordus et des vendettas, mais reposent sur un code d’honneur hérités des cow-boys (défense de la femme, de la famille, etc..). On aperçoit même, alors que le chemin vers la modernité est inévitable, le retour du goudron et de la plume, moqué dans les bandes dessinées, mais dont on perçoit ici toute l’horreur.
Des hommes sans loi se pose donc comme le film de transition entre deux cinémas, le chaînon manquant entre deux Amériques, où le seul commun dénominateur reste la rudesse des rapports entre les hommes. Mais le thème le plus profond abordé par le film est ailleurs.

Une interrogation sur l’origine du mythe (attention spoiler !!!)

Car c’est peut-être l’aspect le plus intéressant de ce film : confronter la légende à la réalité. Nous sommes en 1931, et à la campagne les racontars ont la vie dure. Aussi les Bondurant traînent-ils la réputation d’être indestructibles. On se demande rapidement  d’où cette légende peut venir, lorsque l’on réalise que chez le plus jeune, seule la langue est musclée, que le second fuit la sobriété comme si c’était une maladie vénérienne, et que l’aîné ne s’exprime que par onomatopées ou grognement.

Les 3 frères (pardon)

Or, c’est justement ce réalisme dans les personnages que recherche Hillcoat : à aucun moment le spectateur n’a le sentiment d’avoir devant lui des super-héros ! A travers des fusillades ou des roustes ultra-réalistes auxquelles les frères survivent, le réalisateur australien écrit  leur légende sous nos yeux, sans user d’artifices : une droite laisse un bleu, un couteau coupe et les balles font des trous (et pas des explosions).  Les Bondurant sont simplement des hommes de la campagne que la modernité effraie ou fascine, et qui n’ont d’autre choix que de se battre s’ils veulent survivre. A ce titre, l’excellent épilogue du film vient bien confirmer le fait que le rapport entre le mythe et l’histoire est l’un des thèmes majeurs Des hommes sans loi. Et que celui-ci cherche plus à analyser les relations entre les frères qu’à n’être qu’un film d’entertainment de qualité.

Courez-donc voir ce film qui remplit son quota d’action, d’amour, de sang et de  rire, tout en se gardant bien de n’être qu’une coquille vide! Sur les écrans depuis le 12 septembre :

4 réflexions sur “« Les Hommes sans Loi », le western de gangsters

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